Rencontre avec Jean-Gabriel Périot autour d’Une Jeunesse allemande

 

10h15. Un soleil froid illumine les buildings de Potsdamer Platz. Nos pupilles dilatées par les salles obscures en sont toutes éblouies. Hendrik, Alexander et moi avons rendez-vous avec Jean-Gabriel Périot, le réalisateur du documentaire une jeunesse allemande qui raconte la progressive radicalisation de jeunes intellectuels d’extrême-gauche qui ont formé la RAF : Andreas Baader, Gudrun Ensslin, Ulrike Meinhof, Horst Mahler entre autres, plus connus en France sous le nom réducteur de « Bande à Baader ». Nous nous asseyons sur les fauteuils moelleux du Tesiro, un lounge installée pour la Berlinale dans l’Hôtel Hyatt. Avant que l’entretien ne démarre, je ne peux m’empêcher de constater intérieurement avec cynisme cette débauche luxueuse, décriée par les membres de la RAF dans le documentaire de Jean-Gabriel Périot.

« Je ne fais pas un cinéma militant mais politique »

Nous étions tous sortis unanimes du cinéma : le documentaire de Jean-Gabriel Périot est très réussi. Il s’agit d’un montage d’images d’archives, de films et de documentaires, secoué par une bande sonore énervée et jouissive, pratiquement sans sous-titre ou voix off explicatifs, laissant le spectateur seul juge de l’histoire. Alors oui on dit souvent que le montage à lui seul est un point de vue et déjà normatif en soi mais j’ai trouvé qu’ici la parole était aussi bien laissée aux terroristes, qu’aux hommes du gouvernement, l’un et l’autre bord énonçant des propos troublant de justesse comme des absurdités. Comme l’explique Jean-Gabriel Périot « Je ne fais pas un cinéma militant mais politique (…) je ne prends pas parti(e?), le film n’est ni pro ni anti RAF, ni pro ni anti gouvernement (…) je sais pas trop ce que j’en pense, au spectateur de savoir ce qu’il décide de penser ou pas sur l’histoire. »
  
« Je suis un peu obstiné »

La première question qui vient à l’esprit c’est le procédé d’un tel film : comment s’y prend-t-on ? C’est un véritable travail d’archéologue, que d’exhumer des vieilles archives. Jean-Gabriel Périot compare son travail à celui d’un thésard. Il s’agit de faire un « listing de titres, de périodes, d’informations », de les ordonner avec cohérence pour pouvoir ensuite reconstituer le déroulement des événements, « raconter une histoire ». « c’est pas très intéressant à faire mais nécessaire ». Le verbe qu’il a utilisé, « retrouver » m’a interpellé : Jean-Gabriel Périot n’était pas en découverte mais en recherche d’archives qu’il avait vues dans d’autres documentaire ou d’enregistrements dont il avait pris connaissance dans des livres ou dont des amis de Holger Meins, un des membres du groupe révolutionnaire lui avaient parlé. Selon Jean-Gabriel Périot il n’y a pas de règles pour retrouver les archives, parfois il a eu de la chance, parfois moins, notamment pour les films d’étudiants de la Deutsche Film- Und Fernsehakademie Berlin (dffb), dont les immenses bobines sont stockées en vrac à la cinémathèque. Mais heureusement, Jean-Gabriel Périot est un « peu obstiné » alors « entre demander 40 fois les choses et forcer les gens à les chercher, y a des choses qu’on a retrouvé, parfois par hasard ».

Quel lien entre groupe violent et cinéaste ?

La fin des années 1960 se caractérise en Europe par un grand nombre de mouvements étudiants contestataires, alors pourquoi en tant que réalisateur français se focaliser sur une jeunesse allemande, surtout que Pierre-Gabriel Périot ne maîtrise pas l’allemand et a eu recours à des traducteurs pour certaines archives ? Hendrik, Alexander et moi avions supposé que c’était la radicalité du mouvement qui avait plu au réalisateur, les intellectuels français ayant réfléchi sur la violence n’étant jamais « passé à l’acte », ce que nous confirme Jean-Gabriel Périot : « l’histoire de mai 1968 ne s’achève pas avec l’émergence d’un groupe de lutte armée qui va utiliser le terrorisme ». La réponse du réalisateur est aussi pragmatique puisque la RAF est le seul mouvement, mis à part l’armée rouge japonaise, qui soit directement lié au cinéma et à l’image. En effet, Meinhof était connue bien avant sa radicalisation, notamment comme journaliste au magazine Konkret, apparaissait régulièrement sur le petit écran et avait réalisé quelques films pour la télé ainsi que des émissions de radio. Il était donc possible de montrer visuellement le basculement de ses intellectuels, de montrer « l’avant » et « l’après ». Ainsi, pour Jean-Gabriel Périot cela permet de « raconter l’image au présent dans le film et juste en les laissant, eux, s’exprimer ». De plus, la première partie du film s’intéresse aussi au travail des élèves de l’école de cinéma de Berlin, la Deutsche Film- Und Fernsehakademie Berlin (dffb), grandement influencé par leur professeur et qui, dans leur cadre de leur exercice filmique, ont filmé des happenings, des manifestations et des « guides du parfait petit révolutionnaire » plein d’humour. Cinéma et révolution sont donc étroitement liés au sein du mouvement allemand. Alexander s’est d’ailleurs souvenu qu’Andreas Baader était projectionniste à Munich et Jean-Gabriel Périot a enchaîné en racontant que ce dernier avait également écrit deux scénarios de long-métrages.

Choisir un sujet moins « consensuel »

Avant de se lancer dans le projet une jeunesse allemande, Jean-Gabriel Périot avait déjà beaucoup travaillé sur la violence, notamment un film qui se finit sur Auschwitz : Dies irae, un autre qui parle des femmes tondues : Eût-elle été criminelle… ou encore sur Hiroshima : Nijuman no borei (200 000 Fantômes). S’il n’est jamais évident de faire des films sur de tels événements, Jean-Gabriel Périot trouve que c’est « moralement assez simple » car il est « forcément en désaccord avec la violence qu'(il) montre ». Or il s’est demandé pourquoi il avait accepté les mêmes types de violence que parfois il condamnait quand « ça venait de l’autre côté ». « Si je veux me dire pacifiste alors je dois être contre la violence, et contre toutes, au même niveau ». Il s’est questionné, a beaucoup lu et s’est finalement tourné vers la violence révolutionnaire des années 1970, une violence qu’il trouve plus proche de lui, plus facile à comprendre que les mouvements terroristes djihadistes d’aujourd’hui par exemple, pour lesquels il trouve qu’il y a une trop grande distance culturelle.

« Externaliser les atrocités »

Le documentaire de Jean-Gabriel Périot est d’autant plus passionnant et troublant qu’il traite d’assassins que nous ne pouvons considérer comme des fous, des malades mentaux puisqu’au contraire, comme le souligne le réalisateur ce sont « des étudiants brillants, (issus) de familles qui ont un peu d’argent, enfin a priori y a pas de raison : on préfère ne pas se poser la question car ça pose des questions politiques : comment on peut en arriver là ? ». Comment expliquer leur violence ? Dans un passage d’une jeunesse allemande, Meinhof récite un texte qu’elle a rédigé dans lequel elle justifie leur violence, c’est un passage qui fait froid dans le dos par son implacable fermeté et sa logique interne. Jean-Gabriel Périot explique que « c’est plus facile de penser que les méchants sont fous, qu’ils ne sont que violents, certains disent que les nazis étaient malades mentaux, mais ce sont des êtres humains comme nous, si eux peuvent vriller alors nous aussi peut-être qu’on l’aurait fait et c’est une question qu’on n’a pas du tout envie de se poser : chacun d’entre nous pourrait être une ordure. C’est ce qui est le plus difficile à accepter. » « On essaie d’externaliser les atrocités » comme l’a joliment résumé Alexander. Alors, un seul conseil, dès sa sortie en salles, chers lecteurs, courez « internaliser » les atrocités commises par la RAF dans une jeunesse allemande.

 

Dialogue en perspective
2015
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